LES MÉSAVENTURES FONT L’AVENTURE

Aujourd’hui, en discutant avec un voyageur dans le train, j’en suis arrivé à exprimer le fait que l’on part toujours en voyage avec une idée préconçue de ce que l’on va rencontrer, vivre, expérimenter. Même si maintenant, je suis le premier à partir sans réelle organisation de l’itinéraire et du planning, j’ai toujours une idée « à peu près » du voyage. Cette idée préconçue est toujours là car on prépare au minimum le voyage en se renseignant sur l’immanquable. Mais là est le piège.

Dans notre discussion, nous en sommes arrivés au fait que l’un des plus grands plaisirs des voyages sont ses surprises. Je me souviens de mes quelques premières expériences touristiques, et en effet, quand on n’avait pas réussi à boucler nos prévisions pour de multiples raisons, le sentiment de voyage n’était pas pleinement rassasié. Mais depuis cela a bien changé, aujourd’hui ces déconvenues font partie avec joie de l’aventure. Cette personne m’a même précisé que cela pouvait avoir un nom. C’est l’effet « Serendip« , issu du conte les Trois Princes de Serendip dont l’origine remonte certainement à des contes indiens. L’histoire raconte l’histoire de trois princes qui par les déconvenues durant leur pérégrination finissent toujours par être récompensés.

À notre échelle, aujourd’hui, on est tellement canalisé dans les voyages qu’il est difficile de retrouver ces surprises sans une certaine posture d’esprit à se laisser aller vers ces moments de découverte. Pour moi, l’apprentissage de ce plaisir a pris son sens durant une année passée en Chine en 2004. Tous les jours, de nouvelles choses apparaissaient. C’est en constatant les différences de culture que j’ai pris le plus de plaisir dans ce long séjour. Les bacs de poissons vivant au marché, les différences d’usage de politesse, le petit-déjeuner de brioches au porc, les modes vestimentaires, le sport des personnes âgée le matin très tôt, etc. Mais aussi le simple fait qu’un problème du quotidien comme de payer l’électricité devienne la première fois un parcours du combattant. En effet, dans l’immeuble de Pékin où j’ai habité, il fallait acheter une carte à puce rechargeable au bureau du concierge pour ensuite l’insérer dans le compteur. Ce tracas du quotidien devient un objet de jeu car il est tellement éloigné de nos usages qu’il en devient un plaisir. Bon, la seconde fois, on perd le prestige de la découverte et c’est tout de suite moins drôle quand vous n’avez plus d’électricité à 22 heures. Les mésaventures sont donc devenues une richesse.

C’est donc une posture mentale à adopter qui nous permet en voyage de profiter pleinement de notre environnement. Cela se confronte à ce que l’on voit souvent, un touriste attendant la photo idéale du coucher de soleil. Les moments ne semblent pas être vécus pleinement mais capturés pour être préservés à jamais dans un disque dur. Mais ces moments ont’il été vraiment appréciés. Cela me fait penser à un sociologue qui parlait du phénomène de fabrication de souvenir sur facebook. N’avez-vous jamais croisé des gens en soirées qui se prennent en photo uniquement dans le but de publier les clichés sur le réseau social. C’est la mise en scène de ces instants qui empêchent réellement d’en profiter. Il me semble que cela soit juste, car les meilleurs souvenirs sont ceux dont je me souviens sans avoir pris le temps de prendre du recul sur le moment.

Pour ma propre expérience, je peux donner quelques attitudes à adopter afin d’être le plus ouvert à ces plaisirs insolites du voyage :

  • Se donner assez de temps. Rien de pire que d’avoir un itinéraire à respecter pour arriver en temps et en heure à l’aéroport de retour. Il faut donc prévoir large pour pouvoir respirer et se permettre sereinement de regarder ce que l’on ne regarderait pas habituellement.
  • Se fixer de grands objectifs sans rentrer dans les détails. Oui, il y a des sites à visiter, des plats à goûter, etc. Mais à partir du moment ou vous avez le temps, plusieurs chemins mènent à vos objectifs. À vous de choisir celui dont vous avez envie sur le moment.
  • Penser puis photographier. Si on ne peut se passer de prendre des photos, il faut au minimum se laisser le temps de vivre les choses avant de dégainer l’appareil. N’ayez pas peur, la montagne ne va pas disparaître.
  • Faire confiance. Les meilleures surprises proviennent souvent de rencontres. Il ne faut pas avoir peur de rentrer en contact. Gardez votre perspicacité pour éviter les déconvenues. C’est sûrement l’une des choses les plus difficile en voyage. On est très souvent sollicité ou approché pour diverses raisons compréhensibles mais les bonnes rencontres se font partout.
  • Accepter la différence. Personne ne possède la meilleure culture, à partir moment ou l’on accepte cela, il est possible de commencer à regarder autour de soi sans trop avoir un regard trop subjectif centré sur ses acquis. À partir de là, la découverte et la comparaison deviennent intéressantes.
  • Interroger et avoir un esprit critique sur l’environnement. C’est ne pas accepter les choses telles qu’elles sont mais toujours se poser des questions sur le sens que cela peut avoir. Pourquoi les chinois me disent bonjour en me posant la question « as-tu mangé ? », c’est propre à leur politesse et à leur culture. Et c’est en se posant ces questions avec ou sans réponse que l’on prend du plaisir.

Le voyage est donc un tout dans lequel je tente de tirer avantage de l’imprévu quel qu’il soit. Pour moi, cela est une source de grande satisfaction, mais jamais réellement perçue sur le moment. Et pour vous ?

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