DE MOSCOU À VLADIVOSTOK

A l’invitation de Xavier, je vous présente un article sur le Transsibérien, voyage que nous avons réalisé, Anne, Yvan, Fabrice et moi, de Moscou à Vladivostok durant l’été 2007. Nous avons acheté des vols secs Paris-Moscou, puis nous nous sommes débrouillés seuls sur place, de l’achat du premier billet nous menant à Irktoutsk, jusqu’au retour en avion depuis Vladivostok en passant par les visites « en route » des sites d’Archan, Olkhon en Baïkal, Khavarovsk, … Nous avons relu nos notes et les avons consignées dans un récit de voyage bourré d’anecdotes et d’informations pratiques que vous pouvez trouver ici dont voici quelques extraits…

SE NOURRIR DURANT LE VOYAGE

Pour le ravitaillement, durant le voyage, c’est « relativement » simple : il suffit de viser un stop du train un peu long (un quart d’heure) et de descendre sur le quai pour acheter ce que nous désirons sur les étals dont il est envahi. Des petites mamies vendent de tout : de la salade mexicaine (mais au fait, le Mexique, c’est à combien de kilomètres d’ici ?) aux glaces encore froides en passant par les pinces à linge… Bref, il « suffit de »…

En voyant le joyeux spectacle d’un marché presqu’ordinaire, Anne et moi, nous nous motivons pour aller au charbon. Chiche ? A nous d’affronter les courses ce matin. Fabrice et Yvan ont choisi ce qu’ils voulaient manger, le steak-frites étant tout de même exclus. Nous descendons du train puis nous dirigeons vers le premier étalage. Nous nous mettons à la file de ce qui ressemble à une queue. Les denrées partent. Il ne reste rapidement plus qu’une salade bien appétissante et bien rafraîchissante. Le client nous précédant ne la prend pas. Elle est à nous. Anne jette un premier regard à la brave matriochka. Le temps de lui désigner du doigt l’objet de notre désir, un autre arrive, s’en empare, jette un billet de 20 roubles sur la table et s’en va sans plus de cérémonie. Le tout avec la totale bénédiction de la vendeuse, qui peine à masquer un petit rictus.

LA CHASSE À LA NOURRITURE, SUR LES QUAIS

« A la russe ». Nous sommes éberlués par cette pratique bien peu conventionnelle, et une légère panique s’empare de nous. Après quelques minutes de flottement, nous nous reprenons. Nous avons juste le temps d’enlever une plaque de chocolat et deux beignets à l’allure douteuse avant que le train ne redémarre. C’est sûr, à partir de maintenant, nous avons compris : pour manger quelque chose, il va falloir livrer bataille. Groooaarrrr. Le récit de notre mésaventure fait bien rire Fabrice et Yvan. Quand ils se rendent compte de ce qu’ils vont manger ce midi, leurs rires jaunissent puis s’éteignent. Au moins, Yvan a réussi à récupérer une bouteille de bière. En même temps, ce n’est pas du tout le même challenge vu les quantités stockées sur les quais… Les Allemands appellent cela « le pain solide ». C’est le moment ou jamais de voir si c’est vrai.

LA « PLATZKART », LA TROISIÈME ET DERNIÈRE CLASSE

Pour les quatre-vingt heures du trajet Slioudianka – Khavarovsk, nous sommes logés dans un wagon de troisième classe, la fameuse « platzkart ».

Décrire le wagon est aisé : il y a des gens absolument partout. En koupé (la deuxième classe), nous étions quatre par compartiments. Chacun chez soi et Dieu pour tous. Ici, c’est le désordre absolu. Non seulement, nous nous entassons à six, mais les compartiments ne sont plus compartimentés. En revanche, au niveau des toilettes, rien n’a changé : elles sont toujours deux. Et toujours aussi impeccables. Enfin ici le papier n’est déjà plus fourni.

LA PLATZKART, OU LES COMPARTIMENTS NON COMPARTIMENTÉS…

Les gentilles provodnitzas étudiantes en mal d’argent de poche qui s’occupent des wagons de deuxième classe du trajet précédent laissent la place à deux provodniks mâles d’une quarantaine d’années beaucoup plus costauds. Un simple regard dans le wagon permet de comprendre pourquoi. En effet, l’Ukrainien étant lui aussi plutôt bien bâti, assoiffé, grande gueule et joueur, nous imaginons mal notre petite étudiante le calmer de sa voix fluette. Bienvenue dans un monde d’hommes. Des vrais. Des marins. Des militaires. Des pétroliers. Des mineurs. Ici, le torse est nu, le poil abondant. Les petites minettes en micro-short (ce serait une insulte à la mode d’appeler cela s’habiller !) tranchent avec cette brutalité pure. Elles sont des petits myosotis perdus au milieu d’un champ de droseras.

L’alcool. Il est huit heures du matin et cela sent déjà l’alcool. Plus précisément la vodka. Une bouteille éventée doit traîner quelque part, déversant son parfum collant sur le sol en plastique. Non. L’odeur marche. Elle vient de me croiser dans le couloir et tente désespérément de monter s’allonger sur sa couchette, sise juste en face de celle d’Anne. Il dormira à trente centimètres d’elle. Cela tombe rudement bien : Anne adore les hommes mûrs et a justement un petit penchant pour les alcooliques graves.

Fabrice, lui, est assez bien installé, dans un compartiment qu’il partage avec une petite fille et une Babouchka. Quant à Yvan, depuis le début du voyage il nous tanne pour que nous buvions plus. Ici, il devrait trouver facilement des amis.

Anne entame brillamment la conversation avec Irina, notre voisine Babouchka. Deux grands yeux bleus clairs et un sourire très très doré la questionnent :

– Vous en France, vous avez de bons salaires ?
– Bah euh, on ne se plaint pas trop.
– Moi, je gagne 2 000 roubles (60 €). Tu as tes parents ?
– Oui, oui.
– Moi j’ai perdu les miens à l’âge de six ans.
– …
– Tu es mariée ?
– Pas encore, mais bientôt, oui.
– Moi, mon mari est mort lorsque j’avais cinquante ans.

Après cette rude conversation, le partage de quelques graines de tournesol nous redonne le moral. Finalement, ce n’est pas mauvais la graine de tournesol. Vu le temps qu’il faut pour les décortiquer, nous nous demandons bien qui peut en manger en dehors du Transsibérien où les heures passent lentement.

Pendant que nous discutons, un chariot de victuailles passe et repasse dans le wagon. Que des bonnes choses à acheter : bière, vodka et cigarettes. Le gosier ukrainien se brûle à l’eau de vie. Il se désaltère à la fumée. Et ainsi de suite. Grâce à cette saine hygiène de vie, l’espérance de vie du mâle russe ou ukrainien culmine au chiffre remarquable de 59,4 ans. Bravo. En France, avec un régime pareil, nous serions tous morts en route. Franchement, ils sont robustes ces Russes, ou plutôt ces Ukrainiens.

L’alcool aidant, la conversation roule. Et tourne en boule. Sacha, en désignant ma barbe naissante, prononce des mots qui sonnent comme « Tchétchénie ». Cela ne fait rire vraiment personne. Sacha l’a vécu : la guerre, la peur, la misère, le sang. La Tchétchénie, c’est un peu l’Algérie des Français. Personne ne l’évoque. Sinon, aussitôt le ton monte. Ceux qui y étaient gueulent. Ceux qui n’y étaient pas regrettent. Ils regrettent d’avoir abordé le sujet. Nous essayons de parler d’autre chose. Sacha s’en va furieux.

Il revient peu après avec un jeu de cartes. Sympa les cartes russes : l’as est représenté par un « T », le roi par un « Z », le valet par un « B » comme valet et la dame par un delta comme Dame. Nous jouons à « qui perd est un idiot », une sorte de « Trou duc » à la russe. Et nous sommes vite des idiots. Sacha joue très vite, s’impatiente et gueule. Faute d’explication des règles, forcément, nous ne comprenons rien. C’est comme si l’on jouait à la belote avec des Russes non francophones ! Finalement, Sacha retourne avec les siens. Le chariot à bonheur repasse. Il s’arrête à leur hauteur. Il est déjà 15 h et nous sommes à Oulan Oude, capitale de la Bouriatie. Echaudés par la perte de Fabrice à Novossibirsk qui avait raté le train suite à une pause trop longue, nous n’osons pas nous éloigner de la gare pour aller admirer la plus grande tête de Lénine du monde (sic !). Nous nous contentons de prendre l’air sur le quai. Du bon air bouriate.

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